BHS 2 - Sur la CLC (Consommation Ludique Contemporaine) - Partie 1/3
(...) le problème est que les jeux (...) ont émergés (...) récemment en tant que vrai moyen d'expression.
Jesse Schell, L'Art du Game Design, trad. Antony Champane
Contemporain, sous des dehors civilisationnistes pseudo-éducatifs post-humanitaires et para-culturels, le jeu moderne (que j'appellerai JM, pour plus d'intimité), est surtout un *!#£&$ d'objet de consommation. Quelle tristesse...
Il suffit de se rendre à Cannes (FIJ) ou à Essen (Spiel des Jahres) pour s'en rendre compte. Mais le concept est assez neuf dans le jeu. Et je n'ai pas encore trouvé de document qui fouille historiquement cet aspect. Lorsque cela sera fait, beaucoup de choses risquent de changer dans ce texte.
A l'aube des civilisations, le jeu était là. Qu'il fut dès le départ employé à des fins religieuses ou d'intronisation (cf. Les jeux et les hommes, Roger Caillois, ou la nouvelle La Loterie à Babylone de Jorge Luis Borgès), ou qu'il prélude à toute règle de vie en société (cf. Homo Ludens, Johan Huizinga, ou encore La Loterie à Babylone), reste de la fiction. Selon la légende, aux alentours de 7500 av. J.-C., le jeu déborde de sa sphère rituelle (ndm : peut-être sous l'influence de l'écriture) pour devenir peu à peu l'objet ludique que nous connaissons. Vers 3000 av. J.-C., apparaît le premier jeu connu doté d'un plateau (le Senet, en Egypte).
Le jeu n'est alors pas destiné ou lié à l'activité commerciale. Mais la production de jeux, elle, pouvait être soumise au savoir-faire d'un artisan. Les plateaux, pièces et boîtes ouvragés retrouvés dans les tombeaux d'Egypte en attestent largement. Reste que le peuple, à l'aide de cailloux, de traits sur le sol et d'ouvrages personnels, pouvait librement s'adonner à cette activité, sans jamais devoir l'associer à aucune forme de commerce.
Il faudra attendre la seconde moitié du 19e siècle, pour que des entreprises se décident à lancer des jeux sur le marché. Comprenez : des jeux originaux, produits et vendus non plus uniquement pour leur forme, mais aussi pour leur contenu.
Et en 1935, bim bam boum...
Personne, à ma connaissance, n'a songé à étudier le succès du Monopoly hors de ses règles, de son thème ou de sa conception. D'un point de vue historique, l'édition du Monopoly est à l'origine d'un mouvement : la consommation de jeux. A l'image des Sex Pistols et du mouvement punk, il est impossible d'introduire le jeu de société dans sa vie sans passer par une connaissance, fut-elle surfaite, du Monopoly (pour les amateurs de JM, je précise ne pas être très fan des Sex Pistols non plus). Le fait est là : lorsqu'une personne veut acheter un jeu, et qu'elle n'y connaît rien en JM, elle commence par le Monopoly. Si, en littérature, il n'est pas obligatoire de commencer par L'Iliade et L'Odyssée, quiconque s'est initié au romantisme sera honteux de ne pas connaître Les Souffrances du jeune Werther.
A quoi il faut ajouter un autre phénomène : les punks ont leurs groupes, les joueurs ont leurs auteurs (Martin Wallace, Antoine Bauza, Stefan Feld, Dávid Turczi...). Et les auteurs de jeux sont joueurs au même titre que les membres d'un groupe de punks sont punks, (en soi, c'est évident : on n'imagine pas un écrivain non-lecteur ; mais reprenez avec l'exemple du romantisme s'il-vous-plaît). Et qu'une personne, qui ne se revendique pas du mouvement punk, écoute Les Béru ou Guerilla Poubelle, n'est pas plus étonnant que de voir un béotien du jeu s'éclater sur un Wolfgang Warsch ou un Bruno Faidutti.
Début d'un mouvement : il n'y a qu'à juger de la suite. En 1938 est créée la première grille de Scrabble (édité en 1948, mais déjà en travaux en 1929). En 1940 germe l'idée du jeu vidéo, qui donnera l'Oxo en 1952 et le Pong en 1970. En 1949 sort le Cluedo. En 1954, le Mille Bornes. 1957, (le) Risk (La Conquête du monde)... Et toujours toujours, l'amateur néophyte de s'intéresser en priorité à ce qui semble en être le canon, et qui n'en est souvent que la partie immergée et commerciale (Il s'appelait Vicious / il savait tendre la patte / et compter la monnaie...).
Notez que tous ces jeux se prononcent aujourd'hui avec l'article défini dans notre langue. Le jeu de société fait partie du Zeitgeist (complétez : "une famille sans Monopoly..."). Il atteindra son apogée entre 1980 et 1990, avec l'apparition des jeux d'ambiance (Trivial Pursuit, Taboo, Pictionnary, Jungle Speed) et la spécialisation des commerces de jeux (boutiques de jeux de plateaux, de figurines, de cartes à collectionner, de jeu de rôles et/ou de jeux vidéos). Certains eurogames, comme Les Colons de Catane (1995) ou Carcassonne (2000), deviennent alors les parangons du mouvement (en dépit, là encore, de qualités discutables, mais blablabla...), au côté des jeux à collectionner américains (figurines et cartes). Les uns font s'accroître le nombre de consommateurs ; les autres, le volume de la production.
Depuis, le nombre de jeux créés chaque année en France a été multiplié par 3 entre 2005 et 2015, soit de 500 à 1500 environ. A noter que la France tient la première place du peloton en matière de production de jeux et jouets. Les boutiques, cafés et associations se multiplient, même si inspirés de modèles outre-Atlantique (boutiques spécialisées aux Etats-Unis, pubs ludiques au Québec). Et l'on ne saurait limiter le phénomène dans le temps, tant l'auteur de ces lignes, créateur de jeux et co-gérant de café, s'y trouve impliqué.
Ceci devrait suffire pour l'affirmer : la consommation de jeux est un mouvement, qui a ses origines, ses représentants et ses adeptes. Elle prend ses inspirations dans l'histoire des jeux de tous les peuples, et les condense, pour offrir quelque chose d'original, à une population qui se cherche ou se reconnaît dans cette production. Les amateurs feront peut-être l'analogie avec la démarche d'Alex Randolph (1922-2004), anthropologue amateur et père du JM (en tant que jeu d'auteurs), histoire d'en rajouter.
Contre l'artificialisation du rock'n roll et du hard rock sur les plate-formes culturelles, contre le pédantisme du rock folk-jazz-kraüt-progessif-indus-opéra-guinguette, des musiciens londoniens sont retournés à la source de ce qui faisait l'effervescence du rock des 50'. Une musique, et avec elle une culture toute entière, produite par l'individu et revendiquée par lui. L'affirmation simple et sensible que tout ce qui revêt un caractère social est la marque d'un asservissement. Tel un peuple colonisé adoptant le mode de vie de son envahisseur, l'individu choisit son asservissement en adoptant les normes de sa société. Dans son for intérieur, tout n'est que frustration et révolte.
D'une façon générale, un mouvement est une remise en question de l'état d'une pratique culturelle donnée par ladite pratique. Pour les teneurs du mouvement, l'état en question appauvrit cette pratique, d'où la nécessité d'affirmer (ou de réaffirmer, chez Antonin Artaud par exemple) quelque chose de plus essentiel à cette pratique. Les surréalistes affirmait la nécessité de recourir à des formes inconscientes dans l'art. L'art s'était, au fil des époques et des écoles, trop rationnalisé et policé. L'inconscient devenait un fardeau pour l'artiste, plus que le fondement de son art. Il fallait inverser la tendance. Et c'est aujourd'hui chose faite.
Suivant ce dernier exemple, un mouvement n'a pas vocation à se généraliser. Il reste codépendant de l'état de l'art à son époque. Avant 1930, le jeu était codépendant des supports sur lesquels il se manifestait. Le Bridge (1890), le Texas Hold'em (1900), la Belotte (1920), sont des jeux utilisant un support apparu en Europe au XIVe siècle. Le Jeu des Petits Chevaux (1936), postérieur au Monopoly, possède encore trop de ressemblance avec le Pachisi indien, qui lui-même ressemble matériellement à un double-Senet. Aux alentours de 1600, le Jeu de l'Oie est commercialisé en tant qu'objet initiatique, à l'instar des premiers jeux (cf. supra) ou des labyrinthes, à cette époque. D'autres supports comme les dés, les dominos ou les osselets, n'ont tout simplement pas d'âge déterminé.
Fin 19e-début 20e siècle, des jeux comme le 7 famille et le Monopoly, ainsi que, très probablement, d'autres jeux passés inaperçus, exploitent cette double-contrainte : une forme originale (le matériel) associée à un contenu original (les règles).
L'explosion des modes d'emploi, associés aux objets et produits à usage domestique, a-t-elle entraînée l'apparition d'un marché pour les jeux originaux ? Ou bien, comme dans la fiction, l'existence du jeu l'a-t-elle précédée... Le recul manque pour traiter du sujet.
Le punk, disais-je, affirme des valeurs propres à l'individu, lorsque ce dernier est jugé à son échelle plutôt qu'à celle de la société. Le terme (qu'on peut traduire en français par bon-à-rien, mais qui est aussi acronyme de People Under No King) est un pied de nez aux valeurs utilitaristes et méritocratiques de l'époque. A son échelle, un individu est nomade, indépendant, et son parcours est grégaire. Tout le contraire de l'individu en société : sédentaire, dépendant (de cette société), et dont le parcours s'effectue en solitaire, souvent au détriment de ses semblables.
L'histoire du Monopoly possède aussi son lot de revendications :
Née en 1866, Elizabeth Magie était une femme fermement opposée à la politique de son temps. Elle défendait la notion de propriété terrienne développée par l’économiste américain Henry George dans son livre Progress and poverty, qu’elle résumait par l’idée que :
« les hommes ont un droit égal à utiliser la terre de la même manière qu’ils ont un droit égal à respirer l’air – c’est un droit proclamé par le simple fait qu’ils existent ».
Kate Raworth, publié le 21 juillet 2017 sur Aeon
Avant que le concept ne soit volé, violé, pillé par un éditeur sous le titre qu'on lui connaît, Landslord game était un jeu destiné à créer une situation d'équilibre au sein d'un marché de propriétés, par la seule voie possible : la répartition des richesses. Par la suite, les joueurs se répartissaient des points chaque fois que l'un d'entre eux acquiérait une propriété.
Aujourd'hui le Monopoly, joué comme Ségolène Royal visionne un épisode de DBZ, peut sembler une apologie de valeurs sociétales, propres à une époque où la finance prend le relai de l'industrie. C'est oublier qu'il s'agit d'un objet culturel, ou du moins issu d'une pratique culturelle. Et c'est oublier que de telles valeurs n'auraient connu aucun écho aux Etats-Unis après le traumatisme de la Grande Crise.
En tout état de cause, ce jeu dépeint une situation absurde : chaque joueur acquiert des propriétés jusqu'à un état d'oligarchie. Une situation qui se produira nécessairement dans le jeu (et à l'échelle mondiale, comme il sera démontré mathématiquement en 2002). Or il n'est pas rare, il est même très commun, qu'un jeu demande aux joueurs d'incarner des rôles qu'ils refuseraient d'endosser dans la vraie vie. De nombreux jeux experts se déroulent au temps des premières colonies et/ou dépeignent des situations guerrières que personne ne souhaiterait vivre (le Risk et son facteur aléatoire hyper-meurtrier). De même le Monopoly, qui semble masquer son thème, pourtant clair, sous le plaisir qu'éprouve(rait) le joueur à manipuler des billets fictifs. Je renvoie les sceptiques à la page Wikipédia. Pour les autres, j'invoque un concept, éprouvé pour d'autres supports : la catharsis.
Catharsis : ici le mouvement se crée.
Jusqu'alors, le jeu conservait un ancrage pédagogique, initiatique. Soit en tant que pratique élévatrice, comme le Go au Japon, les Awele africains ou les jeux de stratégie en Europe ; soit par l'emploi d'une symbolique abstraite, non-assujettie à l'interprétation (les couleurs des cartes à jouer représentent les différentes castes de la société occidentale*; les valeurs les plus attestées dans le monde restent, et il est important de le noter pour notre sujet, les valeurs monétaires), qui conserve l'attrait de la superstition (les jeux de hasard, dés, cartes, loteries, sont toujours employés à des fins divinatoires). Les jeux les plus prisés ou les plus sérieux, comme les Echecs ou le Poker, devinrent rapidement synonymes de compétition et d'enjeux, comme le sont les sports ou les casinos. Les joueurs de Belote, formés, comme moi, dès le plus jeune âge par leur parent, se souviennent peut-être de la terreur que leur inspirait ce dernier, lorsqu'il devenait leur partenaire de jeu. Dans cette définition du jeu "sérieux", qui déborde sur la vie réelle, nous retrouvons des jeux éducatifs, comme le très oublié Landslord Game, ou comme les jeux d'animations (type BAFA) que l'on retrouve dans les cours de récré. [NB : à aucun moment je ne critique ces jeux, je les écarte volontairement du mouvement décrit, de par leur ancienneté d'une part, et de part leur vocation pédagogique d'autre part, qui selon la thèse défendue ici ne font qu'un].
Entre la standardisation des Echecs (1850) et l'édition du Monopoly (1935), le jeu s'est vu peu à peu doté de thématiques fortes, dépeintes par des règles d'un côté, et par un matériel de l'autre (le Monopoly, avec ses transaction par monnaie de papier, est exemplaire de ce point de vue). Sa finalité n'est plus de former le joueur à travers les passions qu'il met en scène, mais de les éprouver librement sur ce support, en les conduisant à leur paroxysme ou à la nullité. L'arrivée des jeux d'ambiance, qui n'ont pour finalité avérée que de rire de notre propre ignorance, amateurisme, normalité, maladresse, etc., devient le point culminant de ce changement**.
Plus avant dans les années 70, et de façon plus discrète, le jeu de rôles (RPG) allait rapidement se ranger aux côtés des JM, faisant fi de toute la polémique qu'il a soulevé. L'incorporation toute entière de la dimension théâtrale dans le jeu (le joueur est acteur-spectateur) eut un franc succès, mais au sein d'une population déjà affiliée à ce mouvement. Et alors que de nombreux jeux ont été victime de la censure au fil des âges (au hasard le Hanafuda au Japon, durant l'ère d'Edo, ou la polémique des jeux vidéo violents en 1990), jamais un concept de jeu n'aura autant mis en évidence l'écart générationnel qui s'est opéré entre, d'un côté, les tenants de ce mouvement, et de l'autre sa contrepartie réactionnaire. Résultat : le RPG a donné au JM un souffle épique duquel il ne pourra plus se départir par la suite.
Et droit devant, des jeux poétiques (Dixit, Dream On), angoissants (Greenville 1989), tragiques (This War of Mine), mettant en scène nos propres émotions (Feelinks, Affinity, TOtem)... voire intégralement cathartique avec la pièce de théâtre ludique Virus co-écrite par Yan Duyvendak et l'équipe Kaedama (Corentin Lebrat et Théo Rivière).
Ainsi donc, il y aurait eu un mouvement dans le jeu et par le jeu au début du 20e siècle. Celui-ci s'observe d'abord dans la fusion progressive, toujours rêvée, entre l'objet et la mécanique d'un jeu (par son thème, le cas échéant). Il culmine ensuite avec l'arrivée de jeux hyper-cathartiques, comme le sont les jeux d'ambiance et les RPG. Il continue avec la création de concepts nouveaux, qui permettent aux joueurs de mettre en scène leurs passions dans un cadre virtuel de plus en plus maîtrisé.
Ces trois points seront mentionnés plus loin, respectivement, sous les noms d'affordance, accessibilité et innovation.
Mais ce mouvement s'observe également, et peut-être d'avantage, dans la façon dont nous consommons des jeux aujourd'hui. Car le jeu se collectionne, part en tournée lors de festivals, affectionne les goodies et s'éprouve le temps de quelques bières ou d'une soirée entre amis ("10 euros par tête, c'est le prix d'une bonne soirée", me disait un éditeur lors du salon d'Essen 2018).
La consommation de jeux s'effectue à présent sur le modèle des autres supports artistiques et culturels, qu'ils relèvent du spectacle (cinéma, musique, théâtre) ou de l'exposition (peinture, sculpture, art contemporain). Dans les années 2000, la pratique et la création de jeux solos lui permettent d'être consommé à la façon d'un livre ou d'une bande-dessinée. Et à tout cela, il faut ajouter le mode de consommation qui lui est propre, c'est-à-dire le cercle privé. Ne lui manque, en définitive, que la possibilité d'être exposé dans un musée pour devenir un objet culturel au même titre que les beaux-arts.
Mais qui de l'oeuf... Le jeu est-il devenu objet culturel après avoir intégré une dimension cathartique ? Ou sa mise sur le marché et le succès qui en a résulté sont-ils responsables de son mode de consommation ?
En 2011, l'arrivée de Risk Legacy bouscule le marché du jeu en introduisant un élément qui lui était parfaitement étranger jusqu'alors : l'obsolescence programmée. Programmé, comme l'est le scénario d'un RPG. C'est-à-dire dépendant des choix des joueurs et se découvrant au fur et à mesure des parties. Une fois joué, il perd de son intérêt, à ma manière d'une série déjà visionnée. Le jeu devient alors consommable au sens strict (même s'il conserve une part de rejouabilité, comme tout bon jeu). Si la recette est neuve dans le JM, elle ne date pas d'hier concernant les autres supports. Et l'industrie du jeu est la première à bénéficier de ce nouveau format. Impossible ici d'affirmer l'existence d'un mouvement : les premiers jeux au format Legacy existent sous une forme classique, à succès, et les règles de ce format existaient dans d'autres jeux (déchirer une carte s'est popularisé dans la série Unglued pour Magic l'Assemblée, ouvrir des enveloppes se pratique couramment dans les jeux d'enquête, idem pour l'ajout de nouvelles règles pour les joueurs expérimentés). Le format Legacy, bien qu'il soit chaque fois l'oeuvre d'un auteur (Rob Daviau pour Risk Legacy et le premier jeu du genre sans licence : Seafall) naît du mode de consommation auquel les joueurs ont fini par s'accoutumer.
Or la même chose s'observe pour le jeu cathartique.
A une époque où la Grande Crise amène à chercher de nouveaux marchés, il a fallu déterminer de quelle façon créer un marché pour le jeu. Celui-ci, pour rappel, était à vertu pédagogique, voire initiatique, fortement ancré dans la tradition, et se dotait d'une symbolique abstraite. Si ces aspects sont encore présents dans de nombreux jeux, les JM feront intervenir des critères opposés : accessibilité, innovation et affordance (qui suggère sa fonction par sa forme). Soit : la perte de l'entraînement au profit de la distraction ; le renouvellement des supports et mécaniques ; le renforcement de l'intuitivité par la représentation narrative et matérielle.
Certains jeux privilégient un ou deux de ces aspects au détriment des autres. Les jeux experts (eurogames, RPG, figurines...) renforcent la narration au détriment de l'accessibilité². Les jeux abstraits proposent des mécaniques innovantes, et délaissent, à cette fin, la narration (Quarto, Gygès, Avalam, Projet GIPF***). Et la plupart des créations, les plus prisées du moins, renforcent l'accessibilité par le renouvellement d'anciens supports (les cartes à jouer dans le Bang, les dés dans les Roll n'Write ou les jeux de Stefan Feld), ou d'anciennes règles (le menteur dans Taka Wanka, les jeux de NIM dans Venice Connection, la Bataille dans Tea for 2, le morpion dans Fast n' Furry - nnc). Ce point sera développé dans le billet suivant.
Sans oublier le plus gros marché du genre, le jeu vidéo.
Ainsi donc, par le truchement de ses bases, le jeu est devenu objet de consommation. A la même époque, un médicament à base de cocaïne devenait une boisson rafraîchissante, afin de satisfaire aux législations nouvelles sur les stupéfiants (la cocaïne ne disparaîtra du Coca-cola qu'en 1929).
[Fin de la 1ère partie]
* Coupe, pièce, épée et bâton, devenues coeur, carreau, pique et trèfle sont les valeurs traditionnellement associées aux jeux les plus anciens, dont le Tarot Marseillais. Ils représentent respectivement le clergé, la caste marchande, la noblesse et la paysannerie. Les éléments associés sont l'eau, la terre, l'air et le feu.
** Joueur de Dames, je repense à une nouvelle de Borgès : Pierre Ménard, auteur du Quichotte. Nous avons nécessairement une pratique anachronique des jeux anciens. Les Dames ont pour moi une vertu cathartique, que j'associe librement au jeu lui-même. Il est possible, et même probable, que ma pratique du JM a influencé ma façon d'aborder les Dames. Mais il est tout aussi possible que les vertus cathartiques du jeu étaient présentes avant l'apparition du JM. Comme dirait Czenoborg (American Gods), "C'est un honnête jeu, les Dames".
² On dit souvent des eurogames que les thèmes y sont plaqués, sans impact réel sur la mécanique. Il n'empêche, l'existence de ces thèmes est indispensable pour en assurer la jouabilité. Agricola (Uwe Rosenberg) serait un prototype fastidieux, à mon goût, s'il n'y avait pas les meeples en forme d'animaux.
*** Sans oublier le Siam.
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